Les gestes parentaux tels que le tapotement des fesses, le murmure d’un "chut" ou les bercements répétés sont souvent perçus comme des pratiques instinctives, simples et bienveillantes pour apaiser un bébé en détresse. Ces actions, transmises de génération en génération, sont profondément ancrées dans nos pratiques culturelles et familiales. Elles semblent évidentes, naturelles, et permettent de calmer les pleurs d’un enfant tout en apportant une forme de réconfort immédiat. Pourtant, bien que ces gestes soient communément interprétés comme des réponses instinctives, ils sont souvent marqués par des influences plus profondes, liées à l’histoire personnelle de chaque parent, à ses émotions et aux modèles qu’il a reçus au cours de son propre développement.
En tant que clinicienne, j'aimerais ici que l'on puisse interroger ces gestes, les observer sous un autre prisme, en questionnant non seulement leur efficacité, mais aussi leur impact à long terme sur la relation parent-enfant. Ces gestes ne sont pas simplement des automatismes : ils véhiculent des émotions, des tensions et peuvent influencer le développement émotionnel et psychologique de l’enfant de manière certes subtile, mais puissante.
Le geste parental : entre transmission et mémoire
De génération en génération, certains gestes nous sont transmis presque comme des recettes parentales : le "chut" réconfortant, le tapotement des fesses, ou encore les bercements des nourrissons. Ces gestes sont souvent perçus comme des pratiques universelles et efficaces, ancrées dans les cultures familiales. Cependant, derrière ces gestes se cache parfois une mémoire émotionnelle, parfois même une mémoire traumatique, qui imprègne le parent, sans qu’il en soit toujours conscient.
En observant mes patientes, j'ai pu me rendre compte que certaines répétaient ces gestes de manière presque compulsive, sans pour autant se rendre compte qu'elles reproduisaient une dynamique relationnelle qu’elles avaient elles-mêmes vécues dans leur enfance, souvent sans l'avoir intégré. Nos gestes peuvent de ce fait être chargés de tensions émotionnelles qui impactent directement l’interaction avec l’enfant.
Quand le geste devient ambigu : un signal de stress
Bien que ces gestes puissent sembler inoffensifs, ils prennent une toute autre dimension lorsqu'ils deviennent des réponses excessives, souvent liées à des angoisses profondes du parent. Le geste devient ambigu : il est censé apaiser l’enfant, mais il peut paradoxalement renforcer le stress de l'enfant s’il est exécuté dans une attitude excessive ou anxieuse. Ce type de comportement peut être observé lorsqu'une mère, par exemple, prend une attitude protectrice excessive, se sentant incapable de répondre correctement aux besoins émotionnels de son enfant. Le geste n’est alors plus seulement réactif, mais porte un poids émotionnel qui peut créer un malaise chez l’enfant, ce dernier ressentant inconsciemment la tension et l’anxiété de la mère. Le geste maternel, souvent interprété comme une réponse instinctive, est alors en réalité profondément influencé par l’histoire personnelle de la mère, son vécu émotionnel et son propre développement.
Parfois, ces gestes sont effectués de manière machinale, sans véritable conscience de leur impact émotionnel sur l’enfant. Pourtant, je pense qu'il est crucial de comprendre que ces gestes ne sont pas simplement des automatismes, mais qu’ils peuvent avoir un effet profond sur la construction du lien d'attachement entre la mère et l’enfant. Une mère qui a grandi sans modèle maternel suffisamment sécurisant peut se retrouver à réagir de manière excessive dans un effort de compenser ce manque affectif. Ces comportements peuvent prendre la forme de surinvestissement maternel, de gestes excessifs, de réactions surprotectrices, ou encore d’une incapacité à réguler ses propres émotions.
Dans cette optique, les conséquences émotionnelles de ces gestes peuvent être lourdes, tant pour la mère que pour l’enfant. Parfois, la mère peut ressentir un sentiment de mal faire, ce qui peut entraîner un stress supplémentaire pour l’enfant, qui perçoit ce malaise. La part entre du non-ressenti ou du ressenti incomplet peut poindre et s'observer sous la forme soit d'une alexithymie maternelle ou bien au contraire d'un surinvestissement maternel.
L'alexithymie maternelle, cette incapacité à identifier et à exprimer ses propres émotions, est une problématique que j’observe fréquemment en consultation. Une mère qui souffre d'alexithymie peut avoir des difficultés à mettre des mots sur ses ressentis et, en conséquence, ses gestes peuvent devenir automatiques, dénués d’intention émotionnelle claire. Elle exécute des gestes comme des réactions conditionnées, mais sans véritable connexion émotionnelle, ce qui peut déstabiliser son enfant et nuire à leur lien affectif.
De même, certaines mères, conscientes de leur propre histoire émotionnelle, peuvent développer un surinvestissement maternel : elles cherchent à tout prix à éviter de reproduire les erreurs du passé en devenant excessivement réactives. Cela se traduit par des gestes trop protecteurs, parfois inutiles, qui, au lieu de rassurer l’enfant, peuvent générer une tension ressentie par ce dernier.
"Je me rends compte que mes gestes sont souvent dictés par ma peur de mal faire, je suis fatiguée de toujours essayer de tout contrôler." (Laurène, 2019)
Mais alors que faire dans ces situations ?
Il est important que les mères, en particulier celles confrontées à des blessures émotionnelles passées ou une difficulté à comprendre leurs propres émotions, puissent prendre conscience de l’impact de leurs gestes et de leurs émotions sur leur enfant. Cela ne signifie pas qu'elles doivent être parfaites, loin de là, mais il est crucial de créer un environnement où l’intention de bien faire se traduit par une harmonie émotionnelle.
Questionner nos pratiques à la lumière des nouvelles connaissances
En effet, questionner nos pratiques parentales à la lumière des recherches récentes et des nouvelles connaissances en psychologie, neurobiologie et musicothérapie clinique devient à mon sens primordial. Ces disciplines nous permettent de mieux comprendre les répercussions des gestes sur le développement émotionnel de l’enfant et l’importance de la synchronisation émotionnelle entre la mère et l’enfant.
En réfléchissant à la manière dont nous répondons à l’enfant, nous pouvons réajuster notre approche pour éviter les réactions automatiques et favoriser des gestes plus conscients, empreints de bienveillance et respectueux des besoins émotionnels de l’enfant. Une telle prise de conscience permet de créer un environnement plus sécurisé et harmonieux, qui renforce le lien d'attachement.
L'impact de ces gestes excessifs ou mal adaptés est invisible mais tangible. Si un geste peut sembler anodin, la tension qui l’accompagne peut perturber le développement émotionnel de l’enfant, qui perçoit le stress sous-jacent, même de manière inconsciente. Les pleurs peuvent alors être amplifiés, et l’enfant peut développer une réaction de stress accrue, parvenant difficilement à se calmer. Dès lors, il est essentiel de trouver une balance, un équilibre dans les gestes maternels, qui respectent à la fois les besoins fondamentaux et émotionnels de l’enfant, et les limites personnelles de la mère. Cela implique donc une pratique réfléchie, une écoute attentive et un travail sur soi afin de mieux comprendre les tensions émotionnelles et les répercussions de notre propre histoire sur notre relation avec notre enfant.
Des alternatives saines : des bercements traditionnels à l'écoute musicale des pleurs de l'enfant
musique & obstétrique
L’une des alternatives à ces gestes ambivalents, et qui a montré son efficacité, est la berceuse vietnamienne du Pr. Tran, chef de service de pédiatrie au CHU de Nîmes, ayant développé cet outil précieux pouvant apaiser les bébés et favoriser un environnement de détente pour la mère. Dans son fonctionnement, la berceuse vietnamienne est une méthode traditionnelle utilisée pour apaiser les nourrissons, reposant sur un mouvement de balancement continu, de haut en bas, effectué par le parent. Ce geste particulier, qui peut sembler peu habituel, implique que le parent tienne l'enfant de manière à permettre un mouvement fluide et constant. Pendant ce temps, le parent garde le contact visuel avec l'enfant, lui parle doucement, ou lui chante une berceuse. Ce processus a des effets profonds, notamment en réduisant simultanément le taux de cortisol (l'hormone du stress) chez l'enfant et chez le parent.
L'une des caractéristiques notables de cette pratique est l'enveloppement émotionnel qu'elle crée.
En maintenant le contact visuel et en chantant, le parent renforce l'attachement et la sécurité affective de l'enfant, tout en favorisant une relation de confiance et de confort. Ce geste, qui semble naturel dans de nombreuses cultures asiatiques, a un impact direct sur la régulation émotionnelle de l'enfant et de la mère.
Les recherches ont montré que ce type de mouvement soutient l'activation du système parasympathique, celui qui est responsable de la relaxation, et a donc un effet apaisant sur le bébé.
Des études ont révélé que ces gestes de balancement permettent non seulement de calmer l'enfant mais aussi de réduire l'anxiété chez les parents, en leur offrant un moyen physique et sonore de répondre aux besoins de l'enfant. Par ailleurs, cette pratique favorise une communication plus intime et plus attentive entre le parent et l'enfant, renforçant ainsi le lien d'attachement sécurisé, crucial dans
les premières années de développement.
A travers la pratique de la berceuse vietnamienne, le Pr. Tran met en lumière l’importance d’une approche rythmique et harmonieuse du geste. Son approche démontre que le rythme des berceuses et des mouvements corporels de l’enfant doivent être en adéquation avec ses besoins physiologiques et émotionnels. Ce rythme, respectueux des rappels intra-utérins, peut ainsi favoriser un lien sécurisant et un apaisement profond de l’enfant.
Autre alternative, cette fois née en Australie, celle de Priscilla Dunstan, chanteuse lyrique devenue experte dans l'analyse et la compréhension des pleurs des bébés de la naissance à 5 mois. Si nous nous sommes focalisés sur le geste physique à travers les travaux du Pr. Tran, le Dunstan Baby Language (DBL), de son côté, insiste sur l’importance d’une écoute fine des pleurs et même des pre-cry, gestes vocaliques précédents les pleurs du bébé. Sa méthode fondée en 1998 repose sur l’idée que les bébés émettent des sons spécifiques avant de pleurer que tout à chacun peut entendre en s'exerçant quelque peu. Aux côtés de son père Max Dunstan, chercheur en linguistique, Priscilla Dunstan a pu observer que ces chaque pleur/son universel, puisque testés sur plus de 300 bébés de nationalités différentes, exprimait un besoin particulier : faim, douleur, fatigue, ou encore inconfort. Cette observation souligne ici l’importance de la réponse adaptée, en écoutant activement l’enfant au-delà du simple gestuel instinctif.
L’intérêt de cette méthode est d’apprendre à écouter les sons du bébé de manière attentive et musicale. Priscilla Dunstan, grâce à sa formation en musique, a découvert que les pre-cry avaient des tonalités distinctes, très proches de certaines gammes musicales. En identifiant ces sons, les parents peuvent répondre plus rapidement et de manière plus précise aux besoins de leur bébé, avant même qu’il ne se mette à pleurer. Cette capacité d’écoute précoce permet de réduire le stress et d’éviter des gestes impulsifs ou inappropriés, tout en renforçant l'empathie entre le parent et l'enfant.
Gestes parentaux
La musicothérapie clinique : un outil pour moduler les émotions et renforcer les liens
La musicothérapie clinique complète ces approches en proposant l’utilisation de la musique et des sons pour réguler les émotions des bébés nés à terme ou prématurés, mais aussi celles des parents.
Dans un cadre thérapeutique, la musique peut être utilisée pour calmer un enfant, l’aider à exprimer ses émotions et renforcer le lien affectif avec le parent. Les rythmes réguliers, les sons doux, et les mélodies apaisantes sont des éléments utilisés en musicothérapie pour établir un environnement sécurisant et stimulant. Les protocoles de soins mis en place lors de séances de musicothérapie clinique sont particulièrement efficaces pour aider les parents à mieux comprendre ce qui se joue en eux et répondre aux besoins émotionnels de leur enfant. En travaillant à travers des sons harmonieux et des mouvements rythmiques, les parents peuvent renforcer la confiance de leur enfant en leur capacité à répondre de manière adéquate à ses besoins quelque soit leur situation.
Expl. Protocole de pratique clinique de la musicothérapie créative pour les nouveau-nés prématurés et leurs parents dans l'unité de soins intensifs néonatals :
Conclusion
Reconnaître que les gestes intuitifs que l'on croit « naturels » peuvent, en réalité, être porteurs de tensions non résolues, d’anxiété ou de stress me semble important. Lorsque l’on souffre d’alexithymie ou que l’on tente de compenser un manque d’attachement passé, ces gestes, même bien intentionnés, peuvent devenir contre-productifs. Interroger ses gestes, prendre conscience de ses émotions et ajuster sa manière d’interagir avec son enfant sont des étapes essentielles pour créer un environnement sécurisé et bienveillant. Mais encore une fois, cette prise de conscience et cet ajustement des gestes ne sont pas une recherche de perfection, mais une démarche vers un lien suffisamment bon, un lien où chaque parent et chaque enfant se sentent vus, écoutés et compris. Un holding véritablement sécurisant, comme le décrit Winnicott, reposant sur une attention authentique et une réponse émotionnelle alignée entre le parent et l’enfant.
Et vous, comment percevez-vous vos gestes envers votre enfant ? Sont-ils porteurs de votre propre histoire, ou s’agissent-ils davantage de réflexes appris au fil du temps ? Quelles résonances trouvent-ils en vous ?
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