Art thérapeutique à part entière, soin musical...quelle place donner à la musicothérapie périnatale dans le champ obstétrical, et plus particulièrement dans la préparation à la naissance ? Comment envisager les collaborations pour une prise en charge globale de la femme enceinte et de son enfant ?
La période de la grossesse constitue une phase significative et souvent complexe émotionnellement pour les femmes. Dans ce contexte, la musicothérapie émerge comme une approche thérapeutique précieuse, offrant un espace d'expression, de relaxation et de connexion entre la mère et son enfant. Cet article explore les bienfaits de la musicothérapie dans la préparation à la naissance et à la maternité, tout en mettant en lumière l’importance d’une collaboration interprofessionnelle entre musicothérapeutes périnatals et l'ensemble du corps médical. Je vous invite également à découvrir des pistes concrètes pour intégrer cette approche au sein des établissements de santé ou dans le cadre d’activités libérales.
La musicothérapie périnatale : un soin particulier au service de la maternité musique & obstétrique
La musicothérapie est une approche intégrative et relationnelle relevant du domaine paramédical, se caractérisant par l'utilisation de la musique dans le soin, et le soin par la musique, pour soutenir la santé mentale, émotionnelle et physique des patients. Dans le cadre de la préparation à la naissance, elle se révèle être un atout considérable pour aider les femmes à gérer le stress, à favoriser le processus de nidification, à renforcer la connexion avec leur corps et leur bébé, et à cultiver la confiance en leurs capacités. Les sages-femmes, en tant que professionnelles de la santé maternelle, peuvent tirer parti de l'intégration de la musicothérapie clinique auprès de leurs patientes, afin de favoriser une prise en charge riche et complémentaire. musique & obstétrique
Les bienfaits de la musicothérapie
Les bénéfices de la musicothérapie dans le cadre de la préparation à la maternité se déclinent comme suit :
Réduction de l'anxiété et du stress : La musique exerce des effets apaisants sur le système nerveux, contribuant ainsi à atténuer l'anxiété associée à l'accouchement. Des études scientifiques ont démontré que l'écoute de musique permet de diminuer le taux de cortisol, l'hormone du stress, chez les femmes enceintes.
Création ou renforcement du lien d'attachement : La musicothérapie favorise également l'établissement d'un lien affectif entre la mère et son enfant. Par le biais du chant ou de l'écoute musicale conjointe, les mères peuvent commencer à tisser une connexion émotionnelle avec leur bébé avant même la naissance.
Expression émotionnelle : Dans un cadre sécurisé, chaque femme a l'opportunité d'explorer ses sentiments et préoccupations, favorisant ainsi un processus d'introspection et de guérison.
Stimulation du développement cognitif du fœtus : Certaines recherches suggèrent que l'exposition à la musique pendant la grossesse pourrait favoriser le développement neurologique du fœtus, contribuant ainsi à des résultats positifs pour l'enfant après la naissance.
L'Analgésie Sonore Auto-Induite par la Vocalisation (ASAV)
Un aspect central de la musicothérapie dans la préparation à la maternité réside dans l'utilisation de la vocalisation. Qu'elle soit chantée ou parlée, cette dernière peut agir comme une forme d’analgésie sonore auto-induite, une approche initiée et développée au sein du cabinet Les Sons Naissances.
Mécanisme de l'analgésie par vocalisation
Mes recherches et expérimentations auprès de plusieurs patientes m'ont amenée à considérer la voix comme un outil complémentaire et efficace pour réduire l’anxiété et la douleur durant le travail, et faciliter l’accouchement. En effet, le processus de vocalisation — que ce soit par le chant, le murmure ou des sons spécifiques — semble offrir une gestion de la douleur plus autonome et active. Beckett (2012) souligne également que la musique est de plus en plus perçue comme une alternative ou un complément précieux pour réduire le stress et la douleur. Dans le même esprit, Alain Carré, dans son expérimentation à la maternité de Grenoble, rapporte une réduction de 30% des doses administrées d’anesthésique péridural grâce à la musicalisation des salles d'accouchement (Musique à l'hôpital : Vivre mieux grâce à la musique, 2009). Pour autant, ma pratique m'amène à repenser ces expérimentations sous la forme d'une proposition conjointe, où l'écoute musicale et la vocalisation se rejoignent afin de créer une bulle sonore autour de la parturiente. Cela pourrait conduire à une étude randomisée visant à évaluer le nombre de femmes intéressées par cette combinaison, mais ce n'est pas l'objet de cette réflexion. Le focus restant centré sur l'ASAV (Analgésie Sonore Auto-induite par la Vocalisation).
La compétence de la femme à contrôler activement la sensation de douleur et les processus moteurs semble être plus adéquate qu’une application singulière de la musique pendant le travail et l’accouchement.
En ce sens, la vocalisation semble offrir une maîtrise plus adéquate de la douleur et des processus corporels que l’écoute passive de musique seule. Cette approche permet aux femmes de reprendre un certain contrôle sur leur expérience d’accouchement en influençant directement leur état physique et émotionnel, rendant ainsi la vocalisation précieuse pour l’auto-gestion de la douleur.
Lorsque les femmes vocalisent, elles stimulent la libération d’endorphines et d’ocytocine, des hormones connues pour leurs propriétés analgésiques et pour leur rôle dans la création de liens affectifs. Ce processus naturel ne se contente pas de moduler la perception de la douleur : il induit une relaxation générale du corps qui facilite l’ouverture du col de l’utérus, illustrée par l’adage bien connu « bouche molle – col mou ». Les sons profonds et réguliers, en relaxant les muscles du visage, contribuent au relâchement des autres muscles du corps, facilitant ainsi les processus physiques de l’accouchement. Contrairement à une simple diffusion de musique, la capacité active de la femme à moduler sa douleur et à influencer son état physique par la vocalisation semble particulièrement efficace.
De manière empirique, il semble également que la voix du coparent en état de vocalisation, comme apprise lors des séances de musicothérapie périnatale, ait un effet analgésiant, en particulier pendant la phase de désespérance. Une période intense où la femme peut se sentir soudainement submergée par la douleur, l'incertitude, et la peur de ne pas être capable de poursuivre le processus d'enfantement. Selon certains chercheurs, cette phase de désespoir est associée à une profonde vulnérabilité émotionnelle, où les contractions peuvent sembler insurmontables et le sentiment de découragement peut se traduire par des pleurs ou des appels à l'aide. Dans ces moments, les mécanismes d'adaptation, comme la vocalisation et la présence rassurante du coparent, peuvent jouer un rôle clé pour restaurer un sentiment de sécurité et de contrôle.
La vocalisation est un trait ancien des vertébrés, pas exclusif aux humains, qui est crucial pour de nombreux types de communication.
-- " Vocalization is an ancient trait of vertebrates, not exclusive to humans, that is crucial to many types of communication. "
Ceci étant dit, la vocalisation, ou travail vocalique, ne peut être envisagée comme une simple technique à appliquer de manière isolée, mais doit être accompagnée d'un soutien psychologique approfondi pour la femme enceinte et notamment lors de situations complexes (deuil,...). D'où tout l'intérêt de la musicothérapie périnatale. Contrairement au chant prénatal, qui se concentre principalement sur l'expression harmonique et rythmique, la vocalisation en musicothérapie périnatale, dans le cadre de la préparation à l'accouchement, doit être abordée comme un soin global. Elle vise à favoriser l'intégration émotionnelle et physiologique des sensations de douleur, en permettant à la femme de libérer et de traiter ses émotions, tout en travaillant en profondeur sur le soutien de la santé mentale maternelle.
Cet accompagnement doit se concentrer sur une écoute attentive et une gestion de la douleur émotionnelle, afin d'éviter que la vocalisation ne soit utilisée simplement comme un « pansement » temporaire ou un loisir. Au contraire, elle doit s'inscrire dans un processus psychothérapeutique où la femme peut explorer et exprimer pleinement ses ressentis, blocages, douleurs psychiques, afin de la soutenir dans sa capacité à faire face à l’intensité des transformations induites par l'expérience de la naissance et de la maternité.
Pratiques recommandées
La collaboration entre sages-femmes et musicothérapeutes spécialisés en périnatalité pourrait inciter les femmes à explorer diverses formes de vocalisation, notamment le chant libre, les chants traditionnels ou des sons instinctifs. Ces pratiques initiées dans le cadre d'un suivi thérapeutique encourageraient les parturientes à se sentir plus à l'aise et en contrôle lors de l'accouchement, favorisant ainsi une expérience positive de la naissance.
Vers une alliance entre sages-femmes et musicothérapeutes
La synergie entre sages-femmes et musicothérapeutes représente une avancée significative dans les soins périnataux. Ensemble, ces professionnels peuvent créer un environnement de soutien optimal pour les femmes enceintes, notamment par :
La mise en place d'ateliers conjoints : Des ateliers coanimés par des sages-femmes et des musicothérapeutes pourraient être organisés pour sensibiliser les femmes aux pratiques musicothérapeutiques, renforçant ainsi leur confiance et leur préparation à l'accouchement.
L'éducation et la sensibilisation : Cette collaboration permettrait également d'éduquer les femmes sur l'importance de la musique, de la santé périnatale et de la vocalisation dans le processus de la naissance, contribuant au soutien du début de la maternité et à la prévention de certaines psychopathologies.
Retours d'expériences
Des témoignages de femmes ayant bénéficié de la musicothérapie périnatale au cabinet Les Sons Naissances durant leur grossesse soulignent l'impact positif de cette approche. Nombre de ces femmes étaient alors enceintes de leur second voire troisième enfant, et venaient suite à un deuil parental/maternel. Nous verrons dans un prochain article en quoi la situation d'endeuillée avant, pendant ou post-accouchement implique un schème complexe, variable en intensité, du devenir mère et ce, dès le début de la grossesse, et le rôle de la musicothérapie dans l'accompagnement des différentes phases de ces maternités.
C., 35 ans, ayant accouché de son deuxième enfant, déclare :
❝ Je n'aurai pas cru pouvoir laisser mon corps s'exprimer ainsi. [...] Cela m'a permis de me sentir libre, détachée de tous les a priori que je pouvais avoir sur la nécessité de devoir "chanter juste" et m'a permis d'écouter ma voix. ❞
M., 37 ans endeuillée de mère, pour son second accouchement :
❝ Lucile met à notre service ses connaissances très fines sur la naissance et sa sensibilité au monde périnatal. Durant un cercle pour futures mamans, j'ai appris des techniques de vocalisations et de relaxations pour m'aider lors de l'enfantement, participé à un cercle de chant...le tout avec les conseils adaptés de Lucile. Un grand merci pour la transmission de toutes tes connaissances, ainsi que ton écoute et ton sens de la pédagogie. ❞
A., 34 ans (maman en situation de deuil maternel, deuxième grossesse) :
❝ [...] I. est né ce matin, après seulement quelques heures de travail. Il va bien et tète beaucoup. Merci du fond du cœur pour tout, cet accouchement a pu avoir lieu grâce à toi. J'ai beaucoup vocalisé, les A et les OU ont été mes alliés et j'ai beaucoup visualisé la flèche en respirant. Merci de m'avoir aidé à avoir confiance en moi et de croire en tout ça . ❞
M., 42 ans (maman en situation de deuil parental, troisième accouchement) :
❝ Merci, accouchement sans péridurale, et les a o ou u i é m'ont accompagné tout le temps et le a m'a beaucoup aidé lors des dernières poussées. [...] et quand j'ai eu l'impression que je n'allais plus supporter la douleur, elle était là. ❞
A., 34 ans (deuxième accouchement)
❝ Lucile est très douce, à l'écoute et proche de ce qui vibre au fond de nous. Elle m'a aidée à lâcher prise, notamment lors de mon accouchement. Je la remercie infiniment de m'avoir accompagnée pour vivre pleinement mes aspirations. ❞
De plus, des études scientifiques confirment que les femmes ayant intégré la musique dans leur préparation à la naissance rapportent une réduction des douleurs pendant l'accouchement et une diminution de l'anxiété. Ces résultats renforcent la légitimité de la musicothérapie dans ce contexte.
Outils Pratiques
Pour faciliter l'intégration de la musicothérapie dans les soins prénataux, plusieurs outils pratiques peuvent être envisagés :
Des playlists musicales : La création de playlists adaptées, incluant des musiques apaisantes et des chants traditionnels, peut aider les femmes à se préparer mentalement à l'accouchement.
Des exercices de vocalisation : Proposer des exercices simples de vocalisation, tels que le chant libre ou des sons instinctifs, peut encourager les femmes à utiliser leur voix comme outil d'analgésie sonore.
Des exercices corporels en musique : La musicothérapie étant une pratique psychocorporelle, des moments de mise en place issues des pratiques des musiciens et chanteurs peuvent être intégrées, permettant ainsi aux futures mères de se détendre physiquement et de libérer leur esprit.
Perspectives Culturelles
Il convient de noter que la musicothérapie dans le cadre de la grossesse n'est pas seulement une pratique moderne ; elle s'inscrit dans une tradition culturelle variée à travers le monde. Par exemple, dans certaines cultures africaines, des chants rituels sont utilisés pour célébrer la maternité et renforcer le lien entre la mère et l'enfant. Ces approches culturelles et artistiques sont pour le moins importante dans la compréhension de l'histoire et du vécu de la grossesse, mais aussi un moyen d'enrichir les pratiques des musicothérapeutes et mieux répondre aux besoins des femmes enceintes.
Conclusion
La musicothérapie constitue un soutien inestimable dans la préparation à la naissance, aidant les femmes à gérer l'anxiété, à renforcer le lien avec leur bébé et à utiliser leur voix comme outil principal d'apaisement des douleurs d'enfantement. Prochainement ouvrira la première école de musicothérapie périnatale à destination des professionnels et accompagnants en périnatalité. La création de cette branche de la musicothérapie tournée principalement vers la santé mentale maternelle et le soutien du lien mère-enfant, ouvre la voie à des pratiques novatrices, améliorant ainsi le bien-être des femmes enceintes. L'alliance envisagée entre sages-femmes et musicothérapeutes, et de façon plus générale avec le corps médical, pourrait offrir une approche globale, répondant aux besoins émotionnels et physiques des futures mères, tout en favorisant une expérience d'accouchement positive et enrichissante.
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